La France, en queue du peloton européen en matière d’usage du vélo en ville, entend rattraper son retard par un plan national qu’a dévoilé vendredi dernier le Premier Ministre Edouard Philippe. Grâce à ces mesures, le Gouvernement entend tripler la part du vélo dans les déplacements quotidiens d’ici à 2024. L’enjeu est d’importance, dans un pays où les transports produisent 39 % des émissions de gaz à effet de serre.
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Toggle“Bonjour Olivier Razemon, vous êtes journaliste spécialiste des transports. Vous tenez un blog sur le site du Monde intitulé “L’interconnexion n’est plus assurée”. Vous avez publié plusieurs ouvrages tels que Le pouvoir de la pédale, ou encore, Comment la France a tué ses villes. Votre point de vue tout d’abord sur ce plan qui a été dévoilé.
– Alors, je trouve ça très intéressant pour plusieurs raisons, d’abord parce qu’il y avait déjà eu des plans vélo en 2012 et en 2014 sous Sarkozy puis sous Hollande, juste juste avant la fin du mandat de Sarkozy en 2011 je crois, mais là c’est la première fois qu’il est financé, il y a 350 millions d’euros, et c’est la première fois qu’un objectif chiffré qui est de 9 % des trajets à vélo en 2024 alors que c’est 3% aujourd’hui, donc je trouve ça intéressant. Evidemment, ça va pas assez loin disent les associations, et ils ont plutôt raison, et puis il y a ce “en-même-temps-tisme” qu’on connaît bien. C’est-à-dire qu’on fait à la fois, en même temps un plan vélo et puis en même temps on fait des autoroutes on continue à promouvoir la voiture avec beaucoup plus d’argent qu’on le fait pour le vélo, avec comme conséquence, c’est pas une bataille vélo contre voiture, mais avec comme conséquence quand même que tout ça accroît les distances parcourues, que tout ça développe l’étalement urbain et que tout cela également a vocation à finalement annuler en fait ce qu’on fait pour le vélo, donc ça c’est ça, c’est une chose, mais c’est vrai que c’est intéressant d’avoir ce plan vélo. C’est intéressant d’autant qu’ il y a quelques années, il y a une dizaine d’années les municipalités ne juraient que par le Vélib ou l’équivalent c’est-à-dire le Bicloo à Nantes le Vcub à Bordeaux. On avait l’impression que c’était l’alpha et l’oméga et que c’était censé transformer et mettre les gens en selle et on s’aperçoit aujourd’hui, on s’est aperçu au fur et à mesure, on le disait déjà mais les gouvernements n’en avaient pas forcément toujours conscience, que finalement c’est beaucoup plus complexe que ça le vélo.
– Pourquoi ? Pourquoi tout d’abord sur le vélopartage puisque effectivement il y a aujourd’hui de plus en plus de doutes, pas seulement d’ailleurs sur la possibilité d’avoir un service qui marche, mais même sur l’utilité et la viabilité du service ?
– Ce service coûte extrêmement cher à la collectivité, c’est entre 2000 et 4000 euros par vélo et par an, donc par vélo et par an entre 2000 et 4000 euros, donc c’est très très cher. Pour l’utilisateur, c’est pas très cher mais par contre pour la collectivité c’est cher. Ce coût intègre le vandalisme, qu’on connaît bien, ça intègre également les frais, en échange de ce système il y a des recettes publicitaires qui n’arrivent plus à la ville. C’est un calcul qui a été fait par Frédéric Errant, qui est économiste, qui a fait ce calcul pour Lyon, pour Paris, pour Nantes, etc. Et puis, par ailleurs c’est pas parce que vous avez des vélos municipaux partout que finalement ça vous amène forcément à le prendre plus souvent. Il faut, quand on réfléchit à un système vélo comme il existe en Italie du nord par exemple, car on prend toujours l’exemple néerlandais mais en Italie du nord ou en Autriche, ou en Suisse il y a des villes où il y a énormément de trajet à vélo, un tiers des trajets et 20% des trajets parfois se font à vélo. Et donc, ce qui se passe, on a un système vélo, c’est-à-dire qu’on part de chez soi, faut pouvoir garer son vélo chez soi, faut pouvoir le garer et de manière sécurisée à l’arrivée surtout si c’est un vélo à assistance électrique parce que, évidemment, il coûte plus cher, il faut pouvoir éventuellement être encouragé par son employeur, il faut pouvoir apprendre tout simplement à faire du vélo, à se déplacer à vélo, toujours on entend régulièrement “les cyclistes font n’importe quoi”, bon peut-être un peu, parfois, mais aussi parce qu’il y a un manque de connaissance, tout simplement, du savoir-être à vélo. Et puis, il y a une autre chose qui est d’avoir des infrastructures fiables, il faut pouvoir aller d’un bout à l’autre à voir tout simplement un balisage, des petits panneaux qui sont différenciés de ceux pour les voitures, comme on les trouve à Bâle par exemple en Suisse, avec des petits panneaux rouges qui disent, dans cette direction vous avez la gare et c’est à tant de kilomètres. Donc, tout ça, c’est un système vélo qui est beaucoup plus complexe que simplement un vélo en libre-service.
– Ce système vélo, il repose aussi beaucoup peut-être d’abord, Olivier Razemon, sur la capacité d’organiser la coexistence ou alors la non-coexistence, d’ailleurs, entre les vélos et les voitures en ville. A cet égard, qu’est ce qu’il reste à faire en France si vous comparez cela à des expériences réussies ?
– Lorsque on regarde une ville, je prends l’exemple de Bâle parce que j’y suis allé il y a pas très longtemps et que là aussi, ça change d’Amsterdam et de Copenhague, ce qui est frappant, c’est qu’à certains endroits, chacun a sa place. Il y a des endroits où clairement c’est la voiture et quelques deux-roues motorisés, mais il n’y en a pas beaucoup, et puis à des endroits il y a des pistes cyclables qui sont là aussi des itinéraires qu’on peut parcourir de bout en bout, et j’insiste, qui sont signalés, on sait où on va. Et puis à d’autres endroits, il y a un partage, mais pas partout, des endroits où la vitesse est modérée. En fait, il faut se mettre à vélo pour le comprendre, quand on est à vélo on se sent en sécurité, soit quand on a sa piste réservée, soit quand finalement les autres usagers ne vont pas trop vite. Si on se fait dépasser, officiellement c’est 50 km/h, mais souvent c’est 60-70 par une noria de
scooters, comme ça arrive dans beaucoup de villes en France de plus en plus, à ce moment-là on ne se sent pas en sécurité. Si, par contre, on est dans un environnement où on est et où tout le monde est à peu près à 20-25-30 km/h, là ça va mieux. Donc, à certains endroits, il faut simplement apaiser la circulation, réduire la vitesse, de toute façon la vitesse moyenne est la même dans une ville, c’est 15-16 km/h. Par contre, il y a des accélérations qui sont très fortes à certains moments pour les voitures et pour les deux-roues motorisées, donc on peut le faire dans beaucoup d’endroits mais à d’autres endroits il faut séparer parce que là ce sont des grands axes. Donc, ça dépend où on est, et on voit, c’est ça qui est très intéressant, tout le monde à peu près sait faire du vélo. On a tendance à imaginer que pour développer le vélo, c’est simple parce qu’on sait faire du vélo, donc c’est simple, et en fait quand on se penche sur la politique vélo, on s’aperçoit que c’est beaucoup plus complexe, que c’est très fin, qu’il faut faire attention. Je reviens sur le plan vélo du Gouvernement, ce qui est intéressant c’est qu’il prend en compte ces différents aspects. Jusqu’à présent, on était un peu dans l’incantation, un peu dans le “on va vous aider”, “c’est bien le vélo”, etc. Là, on a tous les aspects de la chaîne qui sont pris en compte.
– Alors, vous, Olivier Razemon, vous travaillez principalement sur le vélo, mais il y a un certain nombre de personnes qu’il faut convaincre encore. Dans quelle mesure peut-on dire que le vélo est la solution, en tout cas une solution pour les transports d’individus en ville ? Qu’est-ce qui vous permet de penser qu’il y a la possibilité d’améliorer considérablement la mobilité dans des milieux urbains ?
– Alors, aujourd’hui dans les déplacements entre le domicile et le travail, qui sont des déplacements structurants, c’est pas la majorité des déplacements qui sont structurants : 58 % des déplacements de moins de 1 km se font en voiture. Il y a à peu près 20 ou 30% de déplacements à pied mais les déplacements de moins de 20 km c’est 58 % en voiture, si on prend les déplacements à moins de 4 km on est à 65% en voiture. On a 2 à 3 % ou 5% des déplacements à vélo. Alors, ça ne veut pas dire que demain tout le monde va faire ses 5 km à vélo, non, personne ne dit ça, par contre, ça veut dire qu’il y a une marge énorme de progression du vélo, et pourquoi ? Pas juste pour le plaisir d’être à vélo, parce que c’est agréable, mais aussi parce que tout simplement on a en France une épidémie de sédentarité, pas seulement en France, dans le monde occidental. On passe beaucoup de trop de temps assis, on passe trop de temps devant les écrans et ça a des conséquences. J’ai rencontré l’autre jour un cardiologue de la Fédération française de cardiologie qui m’a dit que les premières alertes sur ce sujet de la sédentarité sont arrivés en 1953, et on est là soixante ans plus tard presque, à se dire “tiens, il faudrait peut-être faire quelque chose pour la sédentarité”. Ce problème-là, on y est tous confrontés, et puis le vélo répond à toute une série de questions de société. Donc il permet effectivement de faire de l’exercice, il n’est pas polluant effectivement, il y a la question du climat qui est derrière tout ça mais c’est une question parmi d’autres, il y a la question de l’étalement urbain. Dans le dossier de presse qui était présenté aux journalistes l’autre jour, il avait un petit paragraphe sur les villes moyennes, sur l’attractivité des villes, et il est évident que dans une ville comme Chalon-sur-Saône, comme Nevers, comme Albi, tant mieux s’il y a des gens qui au lieu de venir en voiture tous les matins pour aller travailler vont faire 2 km, tant mieux s’ils viennent à vélo. Pour une raison simple, c’est qu’ils occupent moins d’espace, et que donc, comme ils arrivent à vélo, finalement il y aura de la place pour les autres voitures, il y aura de la place également pour les piétons, alors que si tout le monde vient en voiture, au bout d’un moment on peut pas mettre toutes les voitures de tout le monde au même endroit en même temps, donc ça c’est une question d’espace et une question d’organisation de l’espace public. Et puis, quand on est à vélo, quand on se déplace en en faisant son mode de déplacement principal, on a tendance à faire ses courses à proximité, on a tendance à favoriser les commerces de proximité qui en ont grandement besoin en France aujourd’hui.”
Libre retranscription de l’émission : “Plan vélo : une piste pour redessiner la ville ?”, Les Matins de France Culture, 17 sept. 2018
Source : https://www.youtube.com/watch?v=J7pli9FVNK4
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